Plinio Corrêa de Oliveira

 

Noblesse et élites traditionnelles analogues dans les allocutions de Pie XII au Patriciat et à la Noblesse romaine

© pour cette 2ème édition française: Société Française pour la Défense de la Tradition, Famille et Propriété (TFP) 12, Avenue de Lowendal - PARIS VII

Septembre, 1995


Pour faciliter la lecture, les références aux allocutions pontificales ont été simplifiées: est désigné d'abord le sigle correspondant (voir ci-dessous), puis l'année où l'allocution a été prononcée.

PNR = Allocution au Patriciat et à la Noblesse romaine

GNP = Allocution à la Garde noble pontificale

Certains extraits des documents cités ont été soulignés en caractères gras par l'auteur.

Titre original: Nobreza e elites tradicionais análogas nas Alocuções de Pio XII ao Patriciado e à Nobreza Romana (Editora Civilização, Lisboa, 1993).

Traduit du portugais par Catherine Goyard

1ère édition française: Editions Albatros, 1993.

Cet ouvrage a aussi été publié en italien (Marzorati Editore, Milan), en espagnol (Editorial Fernando III, Madrid) et en anglais (Hamilton Press, Lanham MD, USA).


DOCUMENT VI

 

Harmonie nécessaire

entre tradition et progrès authentique

 

1. Les vrais amis du peuple sont ceux qui aiment la tradition

De la Lettre apostolique Notre charge apostolique (25-8-1910), de saint Pie X:

«Que ces prêtres (consacrés aux oeuvres d'action catholique) ne se laissent pas égarer, dans le dédale des opinions contemporaines, par le mirage d'une fausse démocratie; qu'ils n'empruntent pas à la rhétorique des pires ennemis de l'Eglise et du peuple un langage emphatique plein de promesses aussi sonores qu'irréalisables. Qu'ils soient persuadés que la question sociale et la science sociale ne sont pas nées hier, que de tout temps l'Eglise et l'Etat, heureusement concertés, ont suscité dans ce but des organisations fécondes; que l'Eglise, qui n'a jamais trahi le bonheur du peuple par des alliances compromettantes, n'a pas à se dégager du passé et qu'il lui suffit de reprendre, avec le concours des vrais ouvriers de la restauration sociale, les organismes brisés par la Révolution et de les adapter, dans le même esprit chrétien qui les a inspirés, au nouveau milieu créé par l'évolution matérielle de la société contemporaine: car les vrais amis du peuple ne sont ni révolutionnaires, ni novateurs, mais traditionalistes (1).»

(1) Acta Apostolicae Sedis, Typis Polyglottis Vaticanis, Romae, 1910, vol. II, p. 631.

2. Le respect de la tradition n'entrave absolument pas le progrès véritable

Du discours de Pie XII aux professeurs et élèves du lycée Ennio Quirino Visconti, de Rome (18-2- 1957):

«On a observé avec justesse que l'une des caractéristiques des Romains, sorte de secret de la perpétuelle grandeur de la Ville Eternelle, est le respect des traditions. Non pas que ce respect signifie la fossilisation, mais bien le maintien vivant de ce que les siècles ont prouvé être bon et fécond. La tradition ainsi comprise n'entrave aucunement le sain et heureux progrès, mais elle est à la fois un puissant stimulant à persévérer dans le chemin sûr et un frein à l'esprit aventurier, enclin à accepter sans discernement n'importe quelle nouveauté; elle est, en outre, comme on a coutume de dire, un signal d'alarme contre la décadence (2).»

(2) Discorsi e Radiomessaggi di Sua Santità Pio XII, Tipografia Poliglotta Vaticana, vol. XVIII, p. 803.

3. Un des défauts les plus fréquents et les plus graves de la sociologie moderne consiste à sous-estimer la tradition

Allocution de Paul VI à des pèlerins slovaques provenant de différents pays, surtout des Etats-Unis et du Canada (14-9-1963), pour le onzième centenaire de l'arrivée des saints Cyrille et Méthode en Grande-Moravie:

«C'est une caractéristique de l'éducation catholique de demander à l'histoire non seulement un matériel culturel et des souvenirs des événements passés, mais aussi une tradition vivante, un coefficient spirituel de formation morale, une direction constante en vue d'un progrès direct et cohérent dans la marche du temps, une garantie de stabilité et d'endurance, qui donne à un peuple sa dignité, son droit à la vie, son droit à accéder au concert des peuples. Un des défauts de la sociologie moderne, très fréquent et très grave, est de sous-estimer la tradition, c'est-à-dire de présumer qu'une société solide et cohérente peut être mise sur pied sans que soit pris en considération le fondement historique sur lequel elle repose normalement, et de croire que la rupture avec la culture héritée des précédentes générations peut être d'un plus grand profit pour la vie d'un peuple que le développement progressif, fidèle et sage, de son patrimoine de pensées et d'habitudes. Et si ce patrimoine est riche de ces valeurs immortelles et universelles que la foi catholique dépose dans la conscience d'un peuple, le respect de la tradition représente bien plus encore une garantie pour la vie morale de ce peuple; c'est-à-dire qu'il lui donne conscience de son existence et lui mérite l'aide divine qui confère à la cité de ce monde quelque chose de la splendeur et de l'éternité de la cité céleste (3).»

(3) Insegnamenti di Paolo VI, Tipografia Poliglotta Vaticana, 1963, vol. I, p. 131.

4. Le détachement du passé: cause d'inquiétude, d'anxiété et d'instabilité

Sermon prononcé par Paul VI durant la messe célébrée à la basilique patriarchale de Saint-Laurent du Verano (2-11-1963):

«Nous avons l'habitude de regarder en avant, en négligeant souvent les mérites d'hier; nous sommes peu portés à la gratitude, au souvenir, à la cohésion avec notre passé, au respect, à la fidélité due à l'histoire, aux actions qui se succèdent d'une génération à l'autre. Il est assez fréquent de constater que la plupart des gens se détachent du temps passé, ce qui est une cause d'inquiétude, d'anxiété, d'instabilité.

«Un peuple sain, un peuple chrétien adhère beaucoup plus à ceux qui nous ont précédés. II considère la logique des événements auxquels il doit emprunter sa propre expérience, tandis qu'il n'hésite pas en face du tribut nécessaire de reconnaissance et de juste évaluation (4).»

(4) Insegnamenti di Paolo VI, Tipografia Poliglotta Vaticana, 1963, vol. I, p. 276-277.

5. La tradition est un patrimoine fécond, un héritage à conserver

Allocution de Paul VI aux pèlerins de sa ville de Brescia (26-9-1970):

«Permettez qu'un de vos concitoyens d'hier rende hommage à une des valeurs les plus précieuses de la vie humaine et, de nos jours, l'une des plus négligées: la tradition. Elle est un patrimoine fécond, elle est un héritage à conserver. Aujourd'hui la tendance des nouvelles générations est toute tournée vers le présent ou plutôt vers le futur. C'est bien, à condition que cette tendance n'obscurcisse pas la vision réelle et globale de la vie. Parce que, pour jouir du présent et préparer le futur, le passé peut nous être utile, et dans un certain sens, indispensable. La séparation révolutionnaire du passé n'est pas toujours une libération, mais très souvent elle signifie la coupure de sa propre racine. Pour progresser réellement et ne pas déchoir, il est nécessaire d'avoir le sens historique de notre expérience. Cela est vrai même dans le domaine des choses extérieures, technico-scientifiques et politiques, où le cours des transformations est plus rapide et impétueux; mais plus encore dans le domaine de la réalité humaine, spécialement celui de la culture. Et cela est vrai dans notre religion, qui est toute une tradition provenant du Christ (5).»

(5) Ibid., vol. VIII, p. 943-944.